A. Clavien: Helvetia et le goupillon

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Titel
Helvetia et le goupillon. Religion et politique en Suisse romande, XIXe-XXe siècle


Herausgeber
Clavien, Alain
Erschienen
Lasuanne 2012: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
135 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Scholl Sarah, Genève

Helvetia et le goupillon. Sous ce titre étonnant, le volume publié par la Société d’histoire de la Suisse romande est riche en informations et en questionnements. Cet ouvrage sur les liens entre religion et politique en Suisse romande à l’époque contemporaine – les contributions vont des tous débuts du XIXe siècle aux années 1970 – fait suite à un colloque organisé en 2010. Sans liens apparents entre eux, les textes se répondent pourtant pour dresser un tableau incomplet mais passionnant de la question.

Une palette de nouvelles recherches y sont présentées par des jeunes chercheurs qui permettent de repenser en profondeur le rôle et la place politique du religieux à cette période. Bernard Reymond et Francis Python amènent en outre deux textes plus synthétiques, le premier sur les prémices d’une pensée laïque protestante, avec Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher et Alexandre Vinet, le second sur le catholicisme politique en Suisse romande au XXe siècle. L’un et l’autre font voeu de complexité, montrant à quel point les champs religieux et politique restent inextricablement liés par-delà la séparation des pouvoirs. La conclusion de Bernard Reymond est particulièrement parlante lorsqu’il avance le fait que ni Schleiermacher, ni Vinet n’ont pensé la déchristianisation de la société et la privatisation du religieux, tout partisan d’une séparation entre Eglises et Etat qu’ils étaient. Chrétienté et laïcité peuvent donc cohabiter dans l’esprit protestant. Francis Python suit quant à lui les aléas des rapports entre autorités d’Eglise et engagement politique catholique. Il montre que l’engagement catholique se fait dans la diversité mais aussi qu’il ne cesse de se confronter, jusqu’à aujourd’hui, avec la question du libéralisme philosophique et de la liberté individuelle sur les questions de moeurs, de religion et de politique.

La recherche de Vincent Callet-Molin sur les catholiques à Neuchâtel et leur (non-)accès à la bourgeoisie au début du XIXe siècle fait écho en quelque sorte aux conclusions de Bernard Reymond. Les élites et hommes politiques neuchâtelois prennent en effet à coeur la sauvegarde d’une identité fortement attachée à la confession en repoussant autant que faire se peut une éventuelle influence politique des catholiques. On reste curieux de savoir comment ces protestants et leurs descendants ont négociés la fin du confessionnalisme cantonal entre 1848 et 1874. De manière générale, on regrette que les politiques fédérales en matière religieuse n’aient malheureusement pas pu être abordées dans ce volume.

L’approche par cas particuliers offre en contrepartie l’avantage de faire résonner entre elles des réalités forts diverses. Avec Valérie Lathion et sa contribution sur la conquête du repos dominical en Suisse entre 1861 et 1916, on voit que la haute bourgeoisie genevoise se reconvertit dans la constitution d’un dense réseau associatif après avoir perdu le pouvoir à la Révolution radicale. L’auteure montre comment ces protestants de tendance évangélique adoptent une stratégie laïque pour faire valoir leur vue sur le respect du dimanche, s’alliant à l’occasion avec le mouvement ouvrier.

Stéphanie Roulin, avec un texte sur l’engagement chrétien contre l’athéisme communiste dans les années 1930, montre elle aussi que des alliances, ici entre chrétiens de différentes confessions, peuvent se faire au nom d’une lutte contre un ennemi commun. Elle met le doigt sur un aspect essentiel de la militance chrétienne au XXe siècle: la conjugaison entre enjeu nationaux et internationaux. On a peur à la fois de l’URSS, de son communisme déclaré antichrétien, et du mouvement socialiste suisse. Tant la contribution de Valérie Lathion que celle de Stéphanie Roulin décrivent une militance politique chrétienne plutôt bien acceptée socialement et institutionnellement, quoique raillée par ses adversaires.

Consuelo Frauenfelder, comme Sylvie Guillaume, montrent en revanche que certains chrétiens ont pu se trouver en porteà- faux, au nom de leurs convictions, non seulement envers l’Etat mais aussi envers leurs propres institutions. Consuelo Frauenfelder esquisse la crise profonde traversée par l’Eglise catholique romaine autour de Vatican II et de mai 68, qu’elle étudie en vue d’une thèse de doctorat. Elle montre en particulier l’activité d’un groupe appelé Chrétien du mouvement, où collaborent prêtres et laïcs convaincus par la dimension politique révolutionnaire de leur engagement chrétien. Il s’agit pour eux notamment de lutter contre «l’Eglise-Institution» jugée trop proche des grandes puissances, du système capitaliste et ne répondant pas aux questions pertinentes de la société. Dans ce cadre, des dizaines de prêtres suisses finissent par quitter l’état clérical et l’institution vit une crise des vocations. Certains militants s’engagent dans des mouvements d’extrême gauche tout en revendiquant leur christianisme.

Tel est aussi le contexte de l’Affaire des 32, décrite par Sylvie Guillaume. Les deux champs de recherches pourraient gagner à être mieux articulés pour de travaux ultérieurs. En février 1972, 32 pasteurs et curés signent une missive de «refus collectif de la défense nationale». Ils remettent en cause le fonctionnement de l’armée et son utilité, demandent l’introduction d’un service civil pour les objecteurs de conscience et affirment refuser pour eux-mêmes toute participation à la défense nationale (taxe, cours, tirs, etc.). Ce dernier aspect peut être assimilé à un acte de désobéissance civile. Cette lettre, envoyée au Département militaire fédéral ainsi qu’à la presse et aux Eglises, est globalement mal reçue. La forme de cette action est dénoncée par toutes les institutions comme «insubordination», «dissidence» ou «germes d’anarchie», préjudiciable à l’ensemble de la nation. Les autorités d’Eglises réaffirment alors publiquement leur attachement à l’armée suisse, même si elles se disent aussi partisanes du service civil.

Les conclusions de recherche de Sylvie Guillaume, quant à la réception de cette lettre, peuvent nourrir une analyse plus vaste de la place du christianisme et de ses représentants dans la société des années 70, moment d’accélération de la sécularisation. En effet, le statut du prêtre ou du pasteur reste suffisamment important symboliquement pour que leur prise de position crée une «affaire» politique et qu’on exige d’eux une certaine retenue. Il est symptomatique aussi que les Eglises, dans cette situation, jugent nécessaire de refaire allégeance à l’ordre établi. Il n’y a pas ici de dissociation fondamentale entre corps social et corps ecclésial. Ce constat entre en dissonance avec l’idée que les Eglises et les chrétiens seraient relégués aux confins des démocraties occidentales durant le XXe siècle. Mais Helvetia et le goupillon montre aussi qu’à partir des années 1960 un nouveau seuil est franchi dans les rapports entre société et religion: les Eglises ont totalement perdu le monopole du christianisme, en particulier dans ses expressions politisées. Tant à gauche qu’à droite, des groupes se revendiquent d’une identité ou d’une culture chrétienne (telle l’UDC aujourd’hui, comme le relève Francis Python) mais sans être partie prenante de l’institution ecclésiale.

On attend dès lors avec impatience les futures analyses historiennes, par exemple sur la question des étrangers et du droit d’asile, pour mieux comprendre ce rôle de lobbying de certains chrétiens et des Eglises – pas toujours d’accords entre eux. Mais cet ouvrage montre d’ores et déjà, comme le dit Alain Clavien dans son introduction, que la religion ne réapparaît pas aujourd’hui comme par magie dans le domaine politique, elle ne l’a tout simplement jamais quitté.

Zitierweise:
Sarah Scholl: Rezension zu: Alain Clavien (éd.), Helvetia et le goupillon. Religion et politique en Suisse romande, XIXe-XXe siècle. Actes du colloque tenu à Lausanne le 20 nov. 2010, Lausanne, SHSR, Université de Fribourg, 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 107, 2013, S. 477-478.

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